Vers une meilleure prise en compte de l’impact du logement sur la santé ?
Longtemps en France, le lien entre le milieu médical et le secteur du logement n’a pas été clairement établi. Pourtant, au regard de données récentes, il semble que l’habitat peut fortement jouer sur la santé physique et mentale de ses occupants. Régis Largillier, titulaire de la Chaire HOPE spécialisée dans la lutte contre la précarité énergétique, nous éclaire à ce sujet.
8 Français sur 10 affirment que le logement a un impact majeur sur leur santé, et 1 Français sur 2 se dit prêt à payer plus cher pour avoir un habitat plus sain. L’amélioration de l’état de santé dans le logement est même la première raison qui pourrait inciter les Français à déménager. Voici certaines des informations majeures que l’on retient d’une enquête inédite menée par le promoteur immobilier Cogedim avec Opinionway*, publiée le 16 novembre 2021.
Ce constat amène inévitablement à se poser la question du lien entre secteur médical et secteur immobilier : a-t-il suffisamment été pris en compte jusqu’alors ? Lors de la journée nationale de lutte contre la précarité énergétique, le 9 novembre dernier, ce manque d’interdépendance a été pointé du doigt par plusieurs intervenants. Marion Hulin, de chez Santé publique France, a même plaidé pour instaurer la notion de “logement pathogène”. Alors, pourquoi un tel attachement du secteur à créer ce lien entre logement et santé, et quels sont les moyens d’y parvenir ? Régis Largillier est titulaire de la Chaire HOPE, qui se spécialise sur ces questions. Il nous en dit plus.
*étude réalisée auprès d’un échantillon de 2 533 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, constitué selon la méthode des quotas. Interviews réalisées par questionnaire en ligne entre le 7 et le 13 septembre 2021.
1/ Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la Chaire HOPE ?
La Chaire HOPE est née d’une initiative prise il y a 3 ans et demi. Elle est portée par la fondation Grenoble INP et par de nombreux partenaires — des banques, des entreprises du secteur énergétique, des associations locales… — dont le fonds de dotation Solinergy. Tous ces acteurs d’horizons très différents ont pour objet de travailler ensemble sur le sujet social et sociétal qu’est la précarité énergétique.
2/ Pourquoi s’intéresser au lien entre santé et logement ?
Lors du dernier comité stratégique de pilotage de la Chaire HOPE, l’un des deux principaux axes donnés pour la suite du programme a été la relation entre santé et logement. L’idée aujourd’hui, c’est de faire du monde de la santé l’un des acteurs actifs de la lutte contre la précarité énergétique.
En réalité, cela va dans les deux sens. Il faut d’une part faire comprendre aux acteurs du logement l’importance des questions liées à la santé des occupants. Aujourd’hui, il y a un problème d’identification des ménages en situation de précarité énergétique : les plus précaires sont aussi ceux qui se cachent le plus. Ils n’osent pas forcément ouvrir la porte de chez eux car leur situation leur procure un sentiment de honte, et les systèmes d’aides peuvent sembler pour certains très stigmatisants. Les ménages en précarité ne vont donc pas oser sauter le pas de la rénovation, c’est un manque à gagner évident.
Et à l’inverse, le monde de la santé a lui aussi tout intérêt à ce que les gens soient mieux logés, surtout ces ménages précaires. En effet, il est possible que le mal logement coûte très cher au système de santé français aujourd’hui.
3/ Cet impact de l'habitat sur la santé de ses occupants est-il avéré ?
Nous nous sommes intéressés à plusieurs études, notamment un travail mené par l’IREPS (Instance Régionale d'Education et de Promotion Santé) sur les facteurs qui influent sur notre santé :
- Le patrimoine génétique impacte à 5%
- Les systèmes de soin existants impactent à 15%
- La pollution et le climat impactent à 25%
- Les conditions socio-économiques (logement, éducation, alimentation…) impactent à 55%
Derrière le logement, il y a donc un réel enjeu de santé publique. Cela a d’ailleurs été largement amplifié par la crise sanitaire et les confinements successifs, qui ont bien montré l’importance de notre lieu de vie.
4/ De quels problèmes de santé parle-t-on ?
On pense à des problèmes de santé physique : le froid qui provoque des rhumes ou des rhinopharyngites, les moisissures qui peuvent causer des pathologies comme des bronchiolites ou diverses allergies… Mais il y a également une question de santé mentale, et ça, c’est beaucoup plus difficile à mesurer.
5/ Dans ce cadre, quels bienfaits peuvent avoir les travaux de rénovation énergétique ?
Quand on sort des personnes de leur situation de précarité énergétique via des travaux de rénovation énergétique dans leur logement, on parle souvent de diminution des factures énergétiques. Mais en réalité, si ces ménages consommaient déjà très peu d’énergie, car ils se restreignaient par exemple, cette diminution n’est pas forcément évidente. Le bénéfice qui se ressent de façon plus forte chez les ménages les plus précaires, c’est le gain de confort et sur la santé au quotidien.
6/ Est-il possible de mesurer cet impact du logement sur la santé ?
Nous n’avons à ce jour que des hypothèses basées sur plusieurs études plus anciennes.
L’une d’entre elles a été menée par le docteur Bernard Ledésert de l’ORS Occitanie, et a démontré que dans un logement rénové, les consommations de psychotropes des occupants diminuent fortement. Une autre enquête sur le terrain menée en Angleterre a démontré que les problèmes respiratoires étaient deux fois plus fréquents chez des enfants ayant vécu au moins 3 ans de leur vie dans un logement froid et humide. Une autre encore, que 28% des adolescents mal logés présentaient de multiples troubles mentaux, contre 4% des adolescents vivant dans un logement confortable. On a aussi constaté que les nourrissons vivant dans le froid ont tendance à moins prendre de poids, et cela risque donc à terme de perturber leur croissance.
Il y a donc des impacts forts sur la santé qui sont identifiés, mais pas vraiment mesurés scientifiquement. C’est pourquoi les décideurs ont toujours eu du mal à s’engager sur le sujet jusqu’à maintenant.
7/ Alors, que peut-on faire pour mieux chiffrer cet impact ?
Avec la Chaire HOPE, nous sommes en train de monter une étude très approfondie qui va commencer cette semaine et durer entre trois et quatre ans. Elle va concerner l’évolution de la consommation de soins d’un ménage (quantité de médicaments achetés, nombre de rendez-vous médicaux pris, etc.) avant et après rénovation d’un logement.
Le projet est piloté et pris en charge par l’Observatoire régional de la Santé Auvergne Rhône Alpes, avec notamment Robert Ledésert qui, nous l’avons vu, avait déjà mené une enquête il y a plusieurs années. Il va s’appuyer sur mille logements suivant des programmes de rénovation existants de Soliha et des Compagnons bâtisseurs, nos deux principaux partenaires, et ce sur 5 départements : le Puy-de-Dôme, la Loire, l’Isère, l’Ardèche et la Savoie.
Ce projet reçoit un engouement général de tous les acteurs concernés qui est extraordinaire, et qui montre que c’est un véritable sujet qui touche tout le monde. Cette enquête sera la première de cette envergure en France, et nous sommes fiers que HOPE ait pris cette initiative.
8/ Comment impliquer davantage le domaine de la santé dans la question du logement ?
Par exemple, avec ce genre de projet ! Grâce au travail de la Chaire HOPE, c’est la première fois que le ministère de la santé s’intéresse à la précarité énergétique et va apporter un soutien financier pour lutter contre, en donnant de l’argent pour notre enquête. Autre exemple de financement provenant du secteur de la santé, la fondation Sanofi.
Nous avons également créé un module de formation à la demande des responsables de la formation des médecins généralistes au CHU de Grenoble. Désormais, chaque année, nous allons organiser une journée de formation à la précarité énergétique pour les sensibiliser sur le sujet, leur montrer le possible impact du logement sur les futures pathologies qu’ils devront diagnostiquer, et qu’ils puissent ainsi adapter leurs prescriptions en fonction du lieu de vie de leurs patients. Et puis comme ça, les médecins vont pouvoir nous aider à repérer les personnes en situation de précarité énergétique : nous leur donnons les contacts des différentes associations locales pour qu’ils puissent communiquer.
9/ Pourrait-on aller plus loin et qu’un médecin puisse être commanditaire de travaux, comme cela se fait au Royaume-Uni ?
Il faut savoir qu’il y a un métier qui existe en France et qui est très mal reconnu : les conseillers médicaux en environnement intérieur (CMEI). Il y en a à peine une quarantaine en France. Ils peuvent prendre en charge des patients sur demande d’un médecin à l’hôpital : ils se rendent à leur domicile, effectuent une visite, et vérifient que les conditions dans le logement sont compatibles avec leur état de santé. Puis ils font un rapport au médecin qui peut adapter sa prescription en fonction, et donner des conseils d’adaptation du logement ou même de travaux pour améliorer la santé des habitants.
10/ Êtes-vous optimiste ?
On va dire qu’on sème beaucoup de graines en ce moment. Cela devrait faire avancer les choses.